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  • christophe Garro

La vie d'avant. Chapitre XI :

Rupture avec Lilia


Cela faisait six mois que je fréquentais Lilia. Notre relation était assez harmonieuse, mais je sentais qu’avec mes amis il y avait toujours une petite gêne, sans vraiment savoir à quoi elle était due, mais je voyais bien que le courant ne passait pas, les discussions étaient cordiales, mais Lilia ne s’intégrait pas au groupe, et j’en éprouvais un regret car j’avais l’habitude de passer du temps avec mes amis, et chacun pouvait débarquer chez l’un des autres sans prévenir, ce qui pouvait parfois être embarrassant lorsque j’étais avec Lilia. Alors la plupart du temps je voyais mes potes seul de mon côté, ce qui lorsque j’étais avec eux me donnait l’impression d’être célibataire. Je pouvais ainsi me retrouver à draguer une fille lors d’une soirée, ou simplement en prenant un verre au Balto, et tout d’un coup je réalisais que non, je ne pouvais pas faire ça, car j’étais en relation avec quelqu’un.

Je ne voyais que rarement ses amies à elle également, qui étaient essentiellement des filles, desquelles j’étais exclus de par ma position de mâle. Donc lorsque nous nous voyions, c’était généralement seuls, tous les deux. Ces moments étaient très agréables, empreints de tendresse et de complicité. C’était plus souvent chez elle que chez moi, mais ça ne me dérangeait pas, j’aimais passer parfois plusieurs jours chez elle et retrouver mon appartement après. Il restait mon lieu personnel, au sein duquel Lilia n’a jamais laissé ni brosse à dent ni sous-vêtement. Nous passions des soirées charmantes, à préparer à dîner et à écouter de la musique. Lilia me faisait découvrir les groupes et des voix qui l’émouvaient, moi, je lui faisais également entendre des groupes que j’aimais, mais la plupart du temps c’était sa musique à elle qu’on écoutait, sauf lorsque nous écoutions de l’opéra, une passion commune, là, nos goûts se trouvaient à l’unisson. Ca ne me dérangeait pas de m’adapter à ses goûts, mais l’inverse étant rare, cette relation ne pourrait pas durer dans le temps. Nous allions parfois au cinéma, nous sommes allés deux fois à l’opéra, la première fois, c’est moi qui l’avais invitée à voir les Indes Galantes à Garnier, la deuxième fois, ce fut elle qui m’invita à Bastille pour un superbe Don Carlo. Nous nous retrouvions souvent dans de bons restaurants, elle aimait découvrir de nouvelles cuisines, de nouveaux chefs, ce qui me coûtait parfois assez cher, tenant en tant qu’homme à payer généralement l’addition. Nous avions de longues discussions sur différents sujets, du droit des femmes qui était son fer de lance hérité de sa mère, à la céramique florentine de la renaissance. Elle avait eu en vente un médaillon de Luca della Robbia, et avait été enthousiasmée par ce lot exceptionnel pour lequel les enchères étaient montées très haut. Cela avait fait la une de plusieurs journaux d’art et elle avait été interviewée à ce sujet. Comme j’ai toujours aimé assister aux ventes, j’allais souvent la retrouver à Drouot quand mon emploi du temps me le permettait. J’avais la chance de pouvoir la plupart du temps gérer mes horaires au musée comme bon me semble, en fonction des projets et de mes rendez-vous.

Au bout de quelques mois de vie ainsi partagée, elle a tenu à me présenter ses parents qui, habitant Bruxelles, étaient de passage à Paris au retour d’un voyage à Tokyo. Je ne savais pas si c’était une bonne idée, j’avais un peu peur que ça fasse présentation officielle. Je ne me voyais pas me projeter dans le futur avec Lilia, et il me semblait qu’il en était de même pour elle. Nous vivions notre relation sans rien attendre l’un de l’autre, au jour le jour, avec beaucoup de plaisir mais aucune passion.

C’est à la Coupole que Lilia avait réservé ce soir-là, une table pour quatre. Je l’ai laissée retrouver ses parents seule, afin qu’elle puisse passer un moment avec eux autour d’un apéritif avant que je les rejoigne. Trois quarts d’heure m’avaient semblés suffisants pour cela, j’arrivai donc pour vingt heures quarante cinq au restaurant du boulevard Montparnasse. Lilia tient beaucoup de sa mère, une femme encore très belle pour ses soixante ans, mince, élégante, droite, un visage qui pourrait rappeler Audrey Hepburn dans les dernières années de sa vie, avec beaucoup de classe, mais un certain snobisme, mâtiné de morgue. Son père lui, a cette façon d’être des personnes dont l’argent leur laisse à penser que tout leur est dû. Ce n’est pas un mauvais bougre, mais sa position sociale lui a donné une assurance comme s’il sortait tout droit de la cuisse de Jupiter. Il était directeur (de banque) de droit divin, et se sentait au-dessus de tous, dans un Olympe connu de lui seul. Je ne fus pas à la hauteur de leurs espérances en arrivant tout trempé par la pluie, mon casque au bras, mes cheveux en bataille et mon tee shirt Nike. Je me sentis tout de suite jaugé de pied en cap, et scruté à la moindre parole, au moindre geste. La mère fut celle qui me posa le plus de questions, et cela d’emblée, avant même qu’arrive mon martini cocktail. Je lui parlai alors de mes parents, de leurs métiers respectifs, du fait que mon père est américain et ma mère française, mais je sentis un blanc lorsque je déclamai mon nom. Aïe. Gold quoi ? Goldberg ? Ah, je compris sans aucune équivoque que le judaïsme de nom patronyme les dérangeait. Pourquoi donc ? Ils sont Tunisiens me dis-je, pas palestiniens ! Dans un souci de plaire pour rassurer Lilia qui me tenait par la main sur la nappe blanche, je leur parlais d’un voyage à Tunis effectué lorsque j’avais quinze ans, chez des amis de mes parents qui étaient musulmans. Pourquoi me suis-je senti obligé de mentionner ce fait ? Je ne le savais pas, et ne le sais toujours pas, c’était un peu parachuté de mentionner le fait que des musulmans pouvaient avoir des amis juifs. Et puis merde, on n’est même pas pratiquants ! Mon père est athée me sentis-je obligé de rajouter.

Nous commandâmes des huitres, et des langoustes, c’était le désir de madame, tout le monde a suivi. Le père me laissa choisir le vin, je me décidai pour un Meursault, ce qu’il approuva, mais son regard sur moi restait circonspect. Le dîner ne fut pas catastrophique, je réussis même à les intéresser en leur parlant de l’exposition sur le fauvisme que nous avions faite l’année précédente.

En sortant du restaurant, je les saluai et me préparai à partir de mon côté, ne sachant pas si un baiser à Lilia serait opportun ou pas, mais Lilia pris ma main, et me proposa de la suivre chez elle. Je la pris alors par la taille, comme le couple normal que nous formions. Les parents avaient demandé au maître d’hôtel de leur appeler un taxi alors qu’une station se trouvait à moins de cinquante mètres. Je ne dis rien. Lilia les embrassa et leur donna rendez-vous le lendemain à leur hôtel pour les emmener à Drouot, je la suivis chez elle, elle avait envie de se retrouver dans mes bras, notre nuit fut tendre mais je n’étais pas à l’unisson avec elle.

Les jours suivants elle fut occupée par ses parents. Ils allèrent visiter Versailles, elle fit du shopping avec sa mère qui faisait le tour des boutiques de luxe du Faubourg à l’Avenue Montaigne. Tout ce que je déteste. Puis après leur départ, c’est moi qui fus occupé et nous ne pûmes nous revoir avant quelques deux semaines. Le musée m’avait payé un billet d’avion pour New York, où je devais aller voir un conservateur avec deux collègues. Le voyage n’était que de quatre jours, mais j’avais réussi à échanger mon billet retour afin de pouvoir rester trois jours de plus et voir Ben. Je n’avais pas appelé ma sœur que je n’avais pas envie de voir après notre dispute lors de mon dernier voyage. Nous ne nous étions plus téléphonés depuis malgré les efforts de mon père pour essayer de nous rabibocher. Je n’appelai personne du reste de ma famille, ni Sylvia, ni personne d’autre. Ces quelques jours à New York me furent bénéfiques, je passai le temps que je pouvais avec Ben malgré son emploi du temps chargé à l’hôpital, et lui parlai de ma relation avec Lilia, sans grand enthousiasme. Il me fit comprendre ce qui se passait en moi, je n’avais pas envie de m’engager à ce moment là, et Lilia, malgré toutes ses qualités, n’était pas la personne qu’il me fallait.

J’ai appelé Lilia trois jours après mon retour, elle était occupée, et me dit qu’elle me rappellerait, ce qu’elle fit, mais seulement le lendemain. Nous décidâmes de nous retrouver au restaurant, je me demandais où tout cela nous menait, mais je n’étais pas décidé à rompre. J’avais envie de continuer, il y avait quelque chose de rassurant à avoir une copine. Puis, je n’ai jamais été bon pour quitter quelqu’un, je n’aime pas les ruptures, les fins définitives. Suis-je trop passif dans mes relations ? Peut-être. J’ai du mal à prendre des décisions lorsqu’elles engagent l’avenir. J’aime que les choses se fassent progressivement, ou qu’elles arrivent par surprise, en tout cas pour les bonnes surprises.

Je retrouvais donc Lilia dans un restaurant du deuxième arrondissement, près de la Bourse. Il faisait bon ce soir là, on avait une table en terrasse, chose qui nous fait rêver aujourd’hui que les bars et restaurants sont toujours fermés depuis de longs mois. Lilia était élégante et simple. Elle portait une robe noire échancrée, un foulard à motif chamarré dans des tons pastel, des lunettes de soleil car là où elle était assise, elle pouvait profiter des derniers rayons qui éclairaient cette portion de terrasse. Je déposai un baiser sur sa joue, et m’assis en face d’elle. Le serveur ne me laissa pas le temps de parler et me demanda tout de suite ce que je désirais boire. Ne sachant que répondre et voyant le Spritz qu’il venait de déposer devant Lilia, je commandai la même chose.

–Comment était New York ? Ca fait un bail que je n’y suis pas allée.

–Ces quelques jours m’ont fait beaucoup de bien, il y faisait très beau. Dommage que tout se soit organisé si vite, j’aurais bien aimé que tu viennes avec moi.

Ce qui était vrai en un sens, mais en même temps, j’étais bien content d’avoir pu passer du temps seul avec Ben. Si Lilia avait été avec moi, ça n’aurait pas été pareil.

–Ici aussi il a fait beau. Mais j’ai eu beaucoup de boulot, pas trop la chance de pouvoir profiter de l’extérieur. Ton ami, Ben, c’est ça ? Allait bien ?

–Lui aussi était très pris par son boulot, mais on a réussi à passer deux soirées ensemble, c’était cool oui. Et puis mon rendez-vous avec Liebermann s’est super bien passé, je crois qu’on pourra envisager une collaboration pour une expo l’année prochaine. Ils vont être contents au musée.

–C’est super ça.

Lilia me semblait détachée. Je buvais mon spritz en la regardant, je ne savais pas si j’avais envie de lui prendre la main, j’hésitai un instant, et décidai de ne pas le faire. Nos plats arrivèrent. Lilia en fan de cuisine thaïlandaise avait commandé un Tigre qui pleure, je l’avais suivie sur son choix. Nous commençâmes à déguster nos plats, il faisait bon, notre conversation errait sur des banalités, mais cela n’était pas un problème pour moi. Elle me parlait des problèmes amoureux d’une de ses amies que j’avais à peine rencontrée. Je l’écoutais attentivement à défaut de réellement m’y intéresser. Ce n’est qu’à la fin du repas qu’elle se décida à aborder un autre sujet : Nous. Je ne sentis pas vraiment la fatalité se profiler, et son discours m’a pris de court. Elle m’énuméra les raison, évidentes, la poussant à vouloir mettre un terme à notre relation, qu’elle qualifia de gentille. En quelques phrases, elle énonça tout ce que j’avais eu en tête ces derniers temps sans avoir la lucidité de prendre cette décision moi-même. Nous nous entendions bien, mais nous n’étions pas amoureux, nous passions de bons moments ensemble mais ils n’avaient rien d’exceptionnels, elle avait ses amies, moi les miens, et tout ça ne se mélangeait pas comme il aurait fallu. Il valait donc mieux poursuivre nos chemins, mais chacun de son côté.

Je fus sidéré par tant d’aplomb, et de maîtrise du langage. En quelques mots elle m’avait largué, et le pire c’est qu’au fond de moi, je trouvais ça génial.

Elle tint à m’inviter ce soir-là, certainement pour s’amender de ce qu’elle venait de me faire subir. Elle s’excusa, m’embrassa sur les lèvres une dernière fois avant de quitter la table après que nous ayons pris un café.

Je restai coi. Je restai assis sur cette terrasse, non pas terrassé par ce qui venait de se passer, mais somme toute assez serein. Lilia avait mis les mots sur mes pensées, et avait pris la décision que je n’arrivais pas à prendre depuis des semaines. Je l’en aurais remerciée si elle n’était pas partie lorsque je réalisais qu’en fait elle m’avait libéré. Je n’en éprouvais aucun chagrin, peut-être un peu de mélancolie lorsque je repenserai à ces quelques mois avec elle. J’interpellai alors le serveur lui demandant de m’apporter un cognac, puis je me ravisai et lui demandais ce qu’ils avaient comme whiskies. Il m’apporta une carte bien fournie de breuvages provenant de diverses régions d’Ecosse et d’Irlande, et je choisis un Talisker seize ans d’âge. J’allumai une clope et me délectai de ce nectar avec ce sentiment nouveau d’être libre. La nuit était tombée, les lampadaires étaient allumés sur l’avenue, de jolies filles en tenues légères passaient, je regardais avec plaisir leurs jambes galbées, leurs petits seins qui bougeaient sous d’amples t-shirts. Tout un monde s’ouvrait à moi.

©christophe Garro

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