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christophe Garro

La vie d'avant. Chapitre V :

Rencontre avec Lilia


C’est un soir de juin que j’ai rencontré celle avec qui je n’ai vécu que quelques mois, mais pour qui j’ai eu une véritable tendresse amoureuse. Lilia est franco-tunisienne. Elle a toujours vécu à Paris, et on peut dire d’elle qu’elle est une sorte d’archétype de la parisienne trentenaire. De bonne famille, père directeur à la BNP, mère avocate travaillant aux droits des femmes entre la Tunisie et la France, c’est une belle brune au regard acéré. Elle possède l’assurance qu’une éducation stricte mais juste, et qu’un environnement privilégié, autant financièrement que socialement, a pu lui donner. Mince et élancée, élégante sans être trop apprêtée, une bouche pulpeuse et deux ravissants seins bombés, elle sait jouer de son charme sans en abuser. J’étais à Drouot ce soir là pour le plaisir dé découvrir des photos d’artistes américains des années soixante dix. J’ai une passion pour la photo, et particulièrement celle de rue, immortalisant des moments de vie marquant différentes époques dans les cités américaines. Le catalogue proposait des clichés du New York un peu crade que je n’ai pas eu la chance de connaître. L’époque pré-Giuliani, le maire de la ville qui l’a nettoyée de fond en comble pour en faire la cité idéale à la Sex-And qu’on connaît depuis les années quatre vingt dix. J’avais vu de belles photos un peu orangées de scènes de rue avec des afro-américains en pates d’eph, des travestis sur Broadway, des junkies et des punks. Un mélange hétéroclite de personnalités ancré dans une époque qui me semble révéler du fantasme plus que de la réalité. J’aime bien de temps à autre aller en salle de vente. Pas toujours pour acheter, mais pour l’ambiance, pour la découverte, pour le fun. J’aime bien Drouot. Lilia menait la vente ce soir-là. Elle est commissaire priseur débutante. J’ai enchéri sur trois photos, allant jusqu’à dépenser deux cents euros, une somme ridicule pour une salle de vente bien sûr, mais je l‘ai fait autant pour voir son visage qui m’a tout de suite attiré que pour le plaisir d’acheter ces clichés d’un autre temps qui dans le meilleur des cas viendraient orner un des murs de mon appart, ou sinon, finiraient dans une pochette avec d’autres photos et dessins de divers artistes dont le travail m’a parlé mais que je n’ai pas encore eu les moyens ou le temps de faire encadrer. A l’issue de la vente, j’ai pu échanger quelques mots avec Lilia, et c’est une fois à l’extérieur, alors que je fumais une clope adossé à mon scooter, que je l’ai vue sortir et passer près de moi en me souriant. Je lui ai souri, soulevant l’enveloppe qui contenait mes photos, l’air de dire, cool regarde, je les ai. C’était un peu pitoyable comme geste, et je m’en suis voulu tout de suite après qu’elle m’ait dépassé. Mais alors, elle s’est arrêtée à dix mètres de moi, a fait semblant de fouiller dans son sac, puis est revenue sur ses pas, pour me demander si je n’aurais pas une clope à lui offrir. Nous avons engagé la conversation banalement, sur une clope, sur la vente terminée, le temps agréable de ce début du mois de juin, puis une fois la cigarette partie en fumée, je lui ai proposé de prendre un verre, ce qu’elle a accepté.


Première rencontre, découverte de l’autre. Se livrer sans trop en dire, on marche sur des œufs, on attend la réaction suivant ce qu’on vient de dire, le désir est sous-jacent dans toute la conversation, mes yeux passaient de ses yeux à ses lèvres, de ses lèvres à ses seins, puis revenaient vite au regard de peur de me faire prendre pour un pervers. Nous avons parlé un long moment, siroté deux verres de rosé, picoré des olives, ri. Je lui ai proposé de dîner mais elle a objecté un rendez-vous, alors je me suis lancé, proposant un autre rendez-vous le lendemain soir, qu’elle a accepté. En partant, elle a déposé un baiser sur ma joue. J’ai dû rougir, comme un ado. Elle s’est éloignée, je l’ai regardé marcher, élégante et sure d’elle sur ses talons perchée. Le lendemain elle m’appelait pour me proposer de passer la prendre chez elle pour aller dîner. Nous ne sommes jamais allés au restaurant. Nous avons fait l’amour toute la nuit, et mangé des chips sur son lit à deux heures du matin !

Ca faisait un moment que j’avais pas eu une relation, et c’était agréable, le temps qu’a duré notre aventure, de dormir chez elle au lieu de chez moi, de passer du temps dans un autre appartement que le mien. Elle vivait sous les toits, dans le dix septième arrondissement, du côté des Batignolles. Je la rejoignais en général en début de soirée parfois chez elle, parfois à Drouot. On allait souvent prendre un verre en terrasse rue Legendre avant d’acheter une pizza qu’on mangeait chez elle devant un vieux film ou à écouter de la musique. Parfois le matin elle partait tôt et me laissait seul dans son appart. Je flânais alors dans sa bibliothèque, lisant quelques pages d’un livre sur le féminisme écrit par une libanaise, ou parcourant des reproductions de tableaux dans un livre d’art sur le fauvisme. Il faisait beau, le soleil inondait sa chambre, je prenais un café sur son petit balcon, juste en caleçon, c’était un peu l’image de la vie de bohème. On aimait discuter autour d’un repas, échanger des idées. Les siennes étaient souvent plus fermes que les miennes. Plus documentée sur beaucoup de sujets que nous abordions, elle avait souvent les arguments qui me faisaient défaut pour valoriser mon point de vue. Mais ce n’était pas grave, je n’ai jamais eu besoin de gagner dans une conversation. On buvait du vin, on riait, on baisait. Elle était très sensuelle, entreprenante, peu farouche. Elle se cambrait sur le lit dans la lueur de la nuit, la fenêtre était toujours ouverte pour faire entrer de l’air, la canicule pointait, et sous les toits de zinc la chaleur s’accumulait en journée.

Elle sortait parfois avec ses amies, uniquement entre filles, ce qu’elles appelaient leur Ladie’s night dont j’étais exclu. Ca ne me dérangeait pas, ces soirs-là je retrouvais mes potes, Lionel, Vincent, et les autres. Et de toute façon, on ne passait pas toutes nos soirées ensemble. Nous étions assez indépendants l’un de l’autre. Mais voilà, au bout d’un mois, mes amis ont voulu la rencontrer. Alors j’ai organisé un apéro à la maison, grosse erreur. Mais pourquoi ne nous sommes nous pas retrouvés simplement dans un bar ? A notre QG ? Je ne sais pas ce qui m’a pris de vouloir organiser cet apéro, je me le demande encore.


J’avais passé l’après-midi au salon de tatouage de Lionel, non pas que je veuille men faire un nouveau, mais par plaisir, pour trainer et papoter, voir les tatoueurs œuvrer, j’avais discuté un moment avec une jeune fille de dix huit ans qui était là avec une copine et cherchait un motif pour son avant bras, le genre de cliente qui n’enthousiasme pas un tatoueur mais qui fait rentrer un peu d’argent. Dans ces cas là, ils n’aiment pas perdre trop de temps à montrer des motifs de roses ou des signes tribaux. La fille était jolie, naïve, mais sympathique, et j’avais pris le relais de Lionel pour lui dérouler les catalogues de motifs. Elle voulait comme la plupart des jeunes filles, quelque chose de petit et de discret mais arrêtait toujours son regard sur des motifs plus grands et surprenants pour elle. Des dragons, des carpes japonaises, un Jack Skellington. Elle est repartie sans avoir porté son choix sur un modèle, et je lui ai dit qu’elle devrait demander à Lionel ou à l’un de ses tatoueurs de lui dessiner quelque chose de spécial, de manière à ne pas se retrouver avec un tatouage qu’elle pourrait revoir sur quelqu’un d’autre. Elle était charmée qu’un homme plus âgé s’intéresse à elle, elle devait se sentir femme. Ca me faisait sourire. J’ai quitté Lionel vers dix huit heures et suis passé chez Picard, l’ami des apéros faciles. J’ai chargé dans un sac tout un tas de grignotines à passer au four dix minutes, puis j’ai fait un saut chez l’autre ami des apéros, Nicolas. J’ai pris du vin, rouge et rosé, et une bouteille de champagne au cas où Lilia ait envie de bulles.

C’est Martina qui est arrivée la première. Elle sortait d’un shooting (elle est styliste en photographie) et était épuisée. Je lui ai proposé de prendre un premier verre avant que les autres arrivent et on a sifflé une bouteille de rosé tous les deux en une petite demie heure. Lorsque Lilia est arrivée elle s’est retrouvée en bas de l’escalier avec Mickael qui, en inlassable dragueur lui a fait un gentil rentre dedans. Ils ont pris l’ascenseur ensemble, descendant au même étage, s’arrêtant devant la même porte. Mickael s’est senti un peu gêné lorsque j’ai ouvert et que je lui ai présenté Lilia qui m’a longuement embrassé, tenant mon visage entre ses deux mains, histoire de mettre Mickael encore plus dans l’embarras. Il est entré et a rejoint Martina sur le canapé, l’a embrassée de la même manière, et s’est servi un verre de vin, faussement nonchalant. J’ai présenté Lilia à Martina, et sur ces entrefaites, Vincent est arrivé. J’ai proposé du champagne à Lilia qui a préféré du rosé, Vincent s’est mis en grande conversation avec Martina qui lui a raconté sa journée avec des modèles insupportables, Lilia a essayé de se détendre et a engagé la conversation avec Mickael. Elle s’était jouée de lui et de son assurance de dragueur invétéré, et a essayé de s’amender. Souriante et peut-être un peu trop sirupeuse, elle lui a demandé ce qu’il faisait dans la vie. Mickael lui a alors parlé de la salle de sport dans laquelle il travaille en tant que coach, ce qui n’a pas eu l’air de trop intéresser ma petite amie du moment, qui l’a néanmoins écouté avec attention, tout en regardant par dessus son épaule avec l’envie de venir me rejoindre du côté de la cuisine. Lionel est arrivé avec Jeanne, j’ai ouvert une nouvelle bouteille, leur ai servi un verre et Lionel s’est tout de suite allumé un joint à la surprise de Lilia, qui, je l’ai découvert ce soir-là est complètement anti drogues, à en devenir hystérique. Jeanne et Lilia ont bien discuté, elles avaient l’air de s’apprécier, il faut dire que Jeanne est une perle qui s’intéresse aux autres avec sincérité, et qui est toujours curieuse d’en apprendre sur la vie et le travail de ceux qu’elle rencontre. Je suis sorti sur le balcon fumer avec Lionel et Vincent et j’ai aperçu le regard noir de Lilia. Je lui ai souri, elle a détourné son visage.

J’ai sorti les assiettes, on a grignoté tout en buvant des verres de vin. A un moment donné, on s’est tous retrouvés sur le balcon à fumer, sauf Lilia, qui ruminait sur le canapé. Je suis allé la retrouver, et me suis assis à son côté.

–Ca va ?

–Non, enfin, oui.

–Qu’est-ce qu’il y a ?

–Rien. Elle a fait un geste pour éloigner la fumée qui était entrée et je l’avoue, ça commençait à sentir la weed dans tout l’appart. J’ai posé ma main sur son bras, elle l’a poussé et s’est levée pour aller se servir un verre. Je suis allé à la table à côté d’elle m’en resservir un aussi.

–Pourquoi tu fumes ?

–Pourquoi me demandes-tu ça ?

–Je veux dire pourquoi tu fumes des joints ? C’est pas malin.

J’avais bien compris sa réticence envers le cannabis, mais sa question m’a surpris.

–Bah, parce que j’aime ça, c’est agréable, t’as jamais essayé ?

–Non, et je ne risque pas de le faire.

–Tu sais c’est pas plus grave que de boire quelques verres, c’est juste un peu de beuh, on s’est pas fait des injections !

–C’est ça. Plaisante là dessus.

–Eh on dirait ma mère ! Qu’est-ce qui te prend ?

Lilia s’est éloignée, elle est allée dans le couloir, vexée. Je me suis alors rapproché d’elle, l’ai prise par l’épaule, et lorsqu’elle s’est retournée, j’ai vu qu’elle pleurait.

–Qu’est-ce qu’il y a ?

Sur ce, Martina est arrivée et a commencé à nous raconter une blague un peu nulle, elle était éméchée, Lilia s’est reprise et a fait semblant de rire, puis elle est retournée au salon où Vincent a commencé à discuter avec elle. Elle riait faussement, mais a essayé de s’intégrer au groupe. On a continué à boire et vers minuit et demie, tout le monde a commencé à partir.

Une fois qu’on s’est retrouvés seuls, je l’ai rejointe sur le balcon, son regard était fixe, sur les arbres du square d’en face.

–J’ai perdu mon frère. Il prenait de la drogue, il en est mort.

Je l’ai regardée, surpris. J’ai tenté un :

–Il n’est pas mort d’avoir fumé un joint ?

Elle a essuyé une larme, m’a regardé comme si j’étais un imbécile.

–Non bien sûr, mais il a commencé par fumer des joints, puis il a pris de la cocaïne, et un soir, dans une fête avec ses amis il a pris du crack et il a fait une overdose. J’avais huit ans. Il avait douze ans de plus que moi. Ca m’a ravagée.

–Je suis désolé. Je ne me doutais pas que tu avais vécu une chose pareille. Tu ne m’avais jamais parlé de ton frère.

–J’en parle rarement. C’est toujours un sujet sensible.

–Je comprends, mais il faut que tu fasses la part des choses, entre un joint qui n’est en somme qu’une cigarette, et les drogues dures. Que soit dit en passant je ne prends pas, si ça peut te rassurer.

Je ne lui ai pas dit qu’il m’arrive parfois dans une soirée de me sniffer une ligne de C. C’est occasionnel, festif, et je ne risque pas d’en faire une overdose !

Lilia m’a souri.

–Excuse-moi. Tes amis ont dû me trouver détestable. Mais quand je vois quelqu’un prendre une drogue, même si c’est juste un joint, c’est plus fort que moi, tout me revient et j’ai envie de pleurer.

–Alors tu te renfermes et tu juges les autres en tant qu’addicts incurables.

Elle m’a lancé un sourire coupable. Je l’ai prise dans mes bras, elle s’est détendue, je l’ai alors embrassée et nous sommes allés dans la chambre laissant au lendemain les cadavres de bouteilles et les verres à moitié vidés. On a fait l’amour avec tendresse, elle était sensible à l’extrême, dès que je caressais ses tétons, elle se cambrait, passait sa langue sur mon torse, prenait ses cheveux dans ses mains, elle a joui. Elle était belle.


Je suis dans mon lit et je pense à elle, à ces moments suspendus qu’on a partagés. Je ne lui en veux pas de m’avoir quitté, tôt ou tard, on devait s’éloigner. Je suis dans ma chambre, seul, Paris est de nouveau confinée, d’une étrange manière puisque ce soir encore, en rentrant du bureau où je ne vais désormais qu’une fois de temps à autre, la place devant chez moi était remplie de buveurs de bières, sans masques, en groupes. Il devait bien y avoir trente personnes. Certains magasins ont fermé, d’autres restent ouverts, comme les coiffeurs, allez donc comprendre. On ne peut pas se déplacer à plus de dix kilomètres, le couvre-feu est toujours actif à partir de dix neuf heures, mais tout le monde peut sortir toute la journée, et avec les beaux jours qui se succèdent en ce début d’avril, les quais, et les parcs sont blindés de gens, qui par groupe de souvent plus de six, boivent, pique-niquent, sans masque ni distanciation. Ce soir l’annonce a été faite que le pays entier serait confiné de la même manière à partir du weekend de Pâques, pour une durée de quatre semaines. La troisième vague tant redoutée est là. Les hôpitaux saturent, les infos annoncent tous les jours des centaines de morts, dans l’indifférence totale, on s’est habitués aux morts que l’on ne voit pas quand ce ne sont pas des proches. L’an dernier à cette époque on applaudissait le corps médical tous les soirs, aujourd’hui, les gens se retrouvent pour boire et faire la fête, indifférents aux autres. Les musées ne sont pas prêts de rouvrir, et mon travail en est encore impacté. Je suis passé en chômage partiel, et ne travaille plus que deux jours par semaine. Je devrais me casser dans le sud, ce mois de confinement serait plus supportable en dehors de Paris. J’ai un ami qui a une maison au bord de mer, près de Bandol, je vais peut-être essayer d’y aller. Je pourrais travailler de là-bas, et profiter de la mer.

©christophe Garro

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